Jour 17


7h00

Les gommes des pneus de la Toyota chatouillent le macadam refroidi pendant la nuit. Il est encore tôt, la limitation à 55 miles me satisfait. Mes yeux peinent à s’ouvrir, mes paupières sont alourdis par le poids de la fatigue. J’ai fait une mauvaise nuit. Heureusement Ingrid parvient à m’ambiancer avec un peu de musique. Nous sommes comme deux enfants nonchalants chantonnant des vieux tubes. C’est dans l’insouciance totale que nous nous dirigeons vers le parc National du Grand Canyon. C’est un des mastodontes touristiques de l’ouest. Tout le monde en parle comme un gouffre géant devant lequel l’homme se sent tout petit. J’ai hâte d’aller constater par moi-même si le mythe est fondé. 


Pour la dernière fois de mon voyage je tends le pass America the beautiful au ranger postée dans la cabine qui accueille les automobilistes à l’entrée du parc. Elle a de longs cheveux blonds comme le blé et des lunettes type aviator. Son petit côté californienne vient mettre un peu de soleil dans mes yeux qui veulent s’enfoncer dans la pénombre du sommeil. 

Nous nous arrêtons à un premier point de vue. Il est encore tôt, il y a peu de monde. J’avance lentement vers la gueule du canyon. Heureusement des barrières de sécurité parviennent à maîtriser mon vertige. Il est enfin là, sous mes yeux. J’ai l’impression de contempler la surface d’une autre planète. Les strates et les roches s’étendent au loin jusqu’à mordre l’horizon. Les parois des canyons sont tapissées d’un tourbillon de couleurs. Comme si le pinceau d’un peintre avait léché la roche. En contrebas, j’aperçois le Colorado se contorsionner entre les parois rocheuses. 




Après avoir fait connaissance avec l’impressionnant site, nous nous rendons au visitor center pour utiliser les navettes. Des biches énormes jalonnent l’entrée du parking. Le bus nous dépose aux pieds d’un sentier de randonnée. Mon corps puise dans ses réserves pour effectuer ces 6km de trail qui jouxtent l’antre du canyon. On avance sur un chemin graveleux, à quelques centimètres du vide. La vue est aussi attirante qu’effrayante. Le canyon ressemble à une énorme bête endormie qui ne ferait qu’une bouchée d’une quelconque imprudence.



Bien sûr, j’ai croisé un serpent. Heureusement, lorsque je marche je fais toujours attention à mon environnement et à ce qui m’entoure. J’ai pu bien anticiper sa traversé sur le chemin du trail. L’animal m’a retourné les intestins. Quand je l’ai vu, mon coeur aurait pu sortir de ma poitrine aussi rapidement qu’une balle de revolver. Putain de phobie. Le serpent, dans une grâce froide reptilienne, a fini par disparaître dans les feuillages. Nous continuons notre rando tandis que la chaleur du mercure s’agite. Il n’y a presque que Ingrid et moi accompagné par les chants de la nature.



Après la rencontre avec le serpent, mon cerveau est en alerte maximum. Je ressemble à un prédateur qui analyse son environnement à l’aide de tous ses sens en éveil. Il faut parfois résister aux points de vues magnifiques qu’offrent notre trail pour se concentrer sur le chemin. Heureusement certains points sont aménagés et bétonnés et permettent d’apprécier le site en toute sécurité. La roche forme comme une succession de petits volcans implantés sur un grand plateau. Le Colorado semble ridicule au milieu de tout ça, on dirait une guirlande de Noël envolée dans le gouffre du Canyon.



Des immenses oiseaux, ou peut-être des rapaces, dessinent des rondes au dessus du vide. Leurs ailes sont étirées comme les voiles d’un bateau qui a le vent en poupe. Nous finissons notre trail par un dernier point de vue avant de reprendre la navette. J’en profite, dans un ultime moment de communion avec le canyon, pour lui faire une sorte d’adieu. J’entame un moment privilégié de réflexion personnel et intime avec cet abime si chargé d’histoire. J’y jette mes pensées et je lui tourne le dos. Peut-être en lui jurant qu’on se reverra.  



16h


C’est l’heure de reprendre la route jusqu’à Williams où se situe notre hôtel. Cette petite ville m’apparaît d’abord comme un port de transit idéal pour les voyageurs. Il y a des motels, des grandes enseignes de fast food et des stations essence. Ambiance très zone industrielle mais qui fait le job pour une nuit. Après avoir déposé nos affaires dans notre chambre nous décidons d’aller se promener pour essayer de dénicher un restaurant sympa. Nous marchons quelques mètres et au bout de la rue nous sentons que la ville s’anime. Et pour cause, elle est en réalité traversée par la mythique route 66 ! Voici une jolie surprise. Quel bonheur de marcher pour la première fois le long de cette route mythique. La ville joue le jeu, l’ambiance de la mother road est imprégnée dans chaque restaurant, chaque boutique, chaque station essence… On se croirait dans un vieux films des années 60. 



On missionne le Pine Country restaurant pour remplir nos estomacs affamés ! C’est divinement bon, ça fait du bien aux papilles de manger un vrai plat cuisiné. Pendant le repas, un homme de la cinquantaine, peut-être un peu plus, pousse la porte du restaurant. Son stetson masque ses cheveux blancs tandis que sa barbe se courbe le long de ses lèvres comme une montagne russe. Ses santiag rayent presque le parquet, Il a un ceinturon avec holster dans lequel un revolver à la cross blanche ricoche contre sa hanche. Notre cowboy des temps moderne nous annonce qu’un spectacle de rue a lieu ce soir. C’est avec tristesse que nous décidons de ne pas nous y rendre. La fatigue a raison de moi. Même si c’est le plus dur, il faut accepter de ne pas pouvoir tout faire et tout voir. C’est avec le ventre plein et quelques étoiles dans nos yeux abîmés par la fatigue que nous rentrons à notre hôtel. il est même pas 21h et je vais me coucher car demain une longue route m’attend jusqu’à Los Angeles.  

To be continued…


1 Comment

Chacha Aventurière · 13 juin 2019 at 7 h 29 min

Tu as trouvé les mots juste pour décrire les émotions qui nous envahissent devant la beauté du Grand Canyon (et du serpent aussi)
On sent aussi que votre RT arrive à la fin et que t’as pas trop envie de rentrer
Enivre toi, enivrez vous de ce magnifique pays parce que la gueule de bois au retour elle est méchante, et l’envie de revenir vous tenaille les tripes pour le reste de votre vie à partir de maintenant

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