Jour 14 : Cap sur les terres des Navajos.
J’ai tellement pris goût à la route que je ne suis même pas triste de quitter Moab. Depuis 15 jours, on vit dans notre bulle, dans une sorte de réel road movie et je ne veux pas en sortir. J’aime quitter un motel pour en trouver un autre. J’ai pris l’habitude de payer en dollars, de mettre de l’essence au gallon ou encore de mesurer la température en fahrenheit. On enchaine les check in et les check out, on ne mange jamais au même endroit, on découvre tous les jours de nouveaux paysages et je crois que cette vie de vagabonds nous amuse. Nous sommes deux filles, guidées par la soif de découvertes, qui vivent au rythme de 65 miles à l’heure.
Aujourd’hui, pour Ingrid, c’est l’une des étapes les plus importantes de notre road trip. A vrai dire, je trépigne aussi. On se dirige vers Monument Valley, LE symbole de l’ouest américain. J’ai en tête le mythique levé du soleil sur les falaises de grés rouges, le voyageur solitaire sifflant sur son cheval ou encore les indiens en troupeau galopant dans le désert laissant derrière eux un épais nuage de poussière. Tout ça est terriblement cliché, merci Hollywood.
Et oui, le cinéma a fait naître de nombreux mythes et légendes en utilisant Monument Valley comme toile de fond. Et les références commencent sur notre route au Forrest Gump point. Au delà de marcher sur les pas de Tom Hanks, cet arrêt offre l’un des points de vue les plus célèbres de l’Ouest. La route s’étire comme un fil d’Ariane vers le plateau dominé par les silhouettes rocheuses si mythiques. Nous prenons quelques clichés touristiques complètement assumés avant de continuer la route 163 qui mène tout droit vers le far west.
L’accueil pour accéder au parc est glacial, comme si le blizzard venait de traverser le désert. Je me dis que les Navajos doivent être lassés des touristes qui viennent salir leur terre. Nous posons nos bagages au The View hôtel, dans une petite cabine privée avec une vue spectaculaire sur les buttes. Le levé du soleil promet d’être grandiose. Nous avons réservé une excursion en 4×4 avec un guide navajo afin que Monument Valley n’ait plus de secret pour nous.
16h30
C’est dans un vieux 4×4 Chevrolet poussiéreux que Jim, notre guide, nous emmène visiter les lieux. Cet homme robuste et corpulent semble autant chargé d’histoire que les roches qui nous entourent. D’un geste sec et maîtrisé Jim désarme le frein à main qui se situe au volant de son Chevrolet et nous voilà nous enfonçant tous les trois dans les terres mythiques de l’ouest. Le chemin est rocailleux et saupoudré de sable. Ça remue beaucoup, j’ai l’impression d’être une pulpe dans une bouteille d’Orangina.
Jim marque des arrêts à plusieurs endroits pour nous montrer les meilleurs spots d’observation des buttes et des mésas. Au premier abord, ce ne sont que des rochers, aux contours aléatoires, sculptés par le vent et la pluie. Mais Jim nous explique que la plupart ont été baptisés par les navajos à cause de leurs formes singulières ou du symbole qu’ils évoquent pour l’histoire indienne. En regardant de plus près, il est vrai que la nature semble avoir taillé la roche pour dessiner des courbes représentatives d’animaux ou encore de partie du corps humain. Notre guide, qui ne perd jamais son sourire, insiste fortement pour que nous percevions ces formes.
Jim nous entraîne ensuite vers des recoins plus intimes de Monument Valley, inaccessibles sans un guide navajo. Les amortisseurs du 4×4 sont mis à rude épreuve, on sent le sable qui tente de retenir notre avancée. Lorsque nous descendons du véhicule, nous sommes au milieu d’un no man’s land, l’ambiance est particulière et mythique. On entend juste le sifflement du vent qui balaye le désert et s’écrase contre les buttes. Mon imagination s’égare. J’entends les sabots des chevaux au galop qui frappent la terre et les coups de fusils de la cavalerie dont l’écho se perd dans l’immensité du désert.
Pendant qu’Ingrid boit les paroles du guide, je me refais la scène de retour vers le futur lorsque que Marty est poursuivi par les indiens dans la Delorean. C’est un sentiment incroyable de fouler les terres des films qui ont marqué mon enfance.
Ce qui me marque, c’est la voix de Jim qui trahi toujours une pointe d’émotion et de fierté lorsqu’il nous commente le paysage. Ses yeux dégagent des petites étincelles, on dirait qu’il découvre Monument Valley pour la première fois. À plusieurs reprises Jim s’empare de mon smartphone et nous demande de prendre la pose avec Ingrid. Ça nous éclate, on se prête gentiment au jeu. Il est comme un gamin qui vient de recevoir son jouet préféré à Noël, on ne l’arrête plus.
Sous une imposante arche, Jim nous montre des gravures indiennes représentant des animaux avant de nous chanter une chanson à l’aide d’un instrument à percussion. Le désert semble tendre l’oreille pour écouter sa voix qui vient résonner contre les parois de gré et mourir dans les couloirs de vent. C’est une parenthèse délicate et douce que notre guide nous offre. Une sorte de communion passionnelle entre l’homme et la nature.
Devant moi à l’horizon, le désert ressemble à une terre non apprivoisée. Le décor est célèbre mais l’âme paraît secrète et indomptable. Au fond, je comprends que mon esprit est pollué par mes références cinématographiques et que pour Jim cet endroit représente beaucoup plus que ça… Comment pourrais-je lire dans l’esprit de Monument Valley en quelques heures alors qu’il aura fallu des années aux indiens pour apprivoiser ces terres ?
Pendant nos échanges, Jim marque des pauses, écrasé par le poids de son émotion, les yeux fixés sur les buttes. Après des révélations intimes sur sa vie, l’homme semble avoir trouvé la paix et la sérénité au cœur de ce paysage, sur les terres de ses ancêtres. Après un peu plus de 3h de visite, Jim nous raccompagne à notre point de rencontre.
Par la vitre arrière poussiéreuse du 4×4, j’observe les immenses silhouettes des rochers nous regarder nous éloigner conservant précieusement toute leur part de mystère. Un dernier selfie avec Jim en guise d’adieu et nous regagnons notre cabine pour s’endormir devant les rochers de Monument Valley.
5h30
C’est la course contre le soleil pour assister au levé de l’astre. On a mis le réveil pour être sures de ne pas rater le spectacle.J’aperçois les ombres noires des buttes encore endormies dans le désert. Timidement, une lumière orangée émerge de l’horizon. Puis les rayons du soleil embrasent le désert et lui redonnent son éclat. Un nouveau jour se lève dans l’ouest, un nouveau départ pour nous. La route nous attend à nouveau.
3 Comments
Matatoune · 9 juin 2019 at 7 h 12 min
Eh bien, moi j’ai l’émotion à fleur d’yeux à lire le récit de cette journée mythique!
Merci les filles !
Il faut absolument qu’un jour j’aille à l’Ouest …
A+
Desplanssurloreiller · 9 juin 2019 at 15 h 53 min
Oh merci, c’est le plus beau compliment qu’on peut recevoir si le texte t’a ému…Surtout qu’Aurelie a eu plus de mal à retranscrire ses émotions sur ce texte tellement la journée a été incroyable et épuisante.Vraiment merci beaucoup 😘
Chacha · 9 juin 2019 at 16 h 45 min
L’émotion a l’etat brut 😍